Rémi Thivel
Guide de haute montagne
Photographie
La Traversée des Pyrénées à Ski en 1995
Pendant l’hiver 1995, nous avons traversé les Pyrénées à ski d’est en ouest avec Francine Magrou et Benoît Dandonneau, en une cinquantaine de jours. Ils m’invitaient gentiment, étaient partis pour faire au plus simple, ce qui était déjà assez compliqué, à savoir se déplacer à ski d’un bout à l’autre de la chaîne en autonomie.
N’en ayant jamais assez, ne supportant pas de faire comme tout le monde, encore aspirant-guide à l’époque et boulimique pathologique d’alpinisme, je proposais de transporter du matériel afin de gravir des faces et goulottes au passage. Une idée complètement idiote car lorsque nous récupérions une de nos déposes de nourriture permettant de continuer pour 5 ou 6 jours, nous nous retrouvions avec de sacs de 30 kg, remplis à moitié de cordes, piolets-traction, broches à glace, friends, dégaines, pitons… qui ne nous ont presque jamais servi mais qui ont bien gâché tout le plaisir du ski. Au final nous avons gravi la face nord du Portaneille en Ariège et une ou deux arêtes par là… une misère.
L’autre mauvaise idée, encore une des miennes, était de chercher des partenaires commerciaux pour nous aider en matériel. Une énorme perte de temps pendant la préparation pour finalement récupérer deux pauvres packs de piles, une paire de gants et trois conneries que nous avions déjà. C’est aussi beaucoup de pression pour rien pendant le voyage car on sait qu’au retour il faudra rendre des comptes. De l’énergie pour peu de choses, mieux vaut travailler un peu plus et ne dépendre de personne ! Un bémol cependant pour le chouette partenariat que nous avions eu avec Patrice de Bellefon qui nous avait habillé des pieds à la tête avec sa marque de vêtements « Gypaaile », dont l’usine, une SCOP, était installée à Bagnères de Bigorre.
La plus mauvaise idée de toutes fut culinaire… Pour se faire à manger, nous avions choisi l’option de l’essence, avec un réchaud MSR. Ceci impliquait donc de laisser de l’essence sur notre chemin, en même temps que nos déposes de nourriture. Cette dernière était conditionnée par portion, par jour, etc, en limitant au maximum les emballages. De ce côté là, nous avions bien fait les choses. Ensuite, nous avions mis le tout dans de grands sacs poubelles. Pour l’essence, nous l’avions transvasée dans des bouteilles en plastique, elle-même stockées avec le reste des vivres. Grave erreur ! Avec le temps, elle finit par s’infiltrer au travers des plastiques et tout que nous mangions en avait au mieux l’arrière-goût, au pire était à jeter. Nous rotions l’essence, nous dormions à l’essence, nous nous réveillions à l’essence et nous avancions à l’essence…
On a longtemps rigolé, une fois l’aventure terminée, du goût insidieux des gâteaux Figolu, particulièrement sournois car en prenant les premières bouchées nous pensions pendant quelques secondes qu’ils n’avaient pas été touchés, puis un arrière-goût horrible finissait toujours par arriver. Je crois ne jamais en avoir racheté depuis. À l’époque j’étais végétarien. Un jour dans une cabane, après plusieurs jours d’alimentation au sans plomb 95, affamés, nous sommes tombés sur un reste de jambon sec qui pendait au plafond. De ce jour, j’ai stoppé tout régime alimentaire particulier !
Pour le reste, une aussi longue immersion dans les montagnes a été assez rude. A l’époque pas de téléphone mobile, pas d’orientation par satellite, pas de bulletin météo accessible depuis les montagnes. Je me souviens particulièrement de cette symbiose que se fait avec les éléments. Au bout d’un moment, sur des simples observations et sensations, nous ne nous trompions jamais sur la météo qui changeait ou la neige que nous allions trouver. A un moment, nous n’avons vu personne pendant une vingtaine de jours. Nous étions devenu très sauvages, sales, bruts, à vif et bourrus. Humainement, entre nous ça a été compliqué, surtout parce que nous n’avions pas les mêmes objectifs au départ. Je me souviens que mes compagnons m’appelaient « le Russe ». Ça résume assez bien comment j’avançais aveuglément vers je ne sais quoi. C’est comme ça la vie.
Voici quelques photos prises par nous trois.